L’anecdote de peinture dans quelques dialogues du XVIe siècle : entre gracieux ornement et pensée figurée
Abstract
La théorie de l’art s’est largement constituée par le récit : c’est le cas dans l’Antiquité, où elle s’est développée par le biais de fragments biographiques dont certaines ont eu à travers les siècles un succès retentissant. Le recueil Millet, qui rassemble les nombreuses références à l’art que l’on trouve dans les écrits antiques, est en grande partie une collection d’anecdotes. A partir du quinzième siècle, la théorie humaniste, qui s’est efforcée de penser à la fois l’activité de l’artiste, l’élaboration de l’œuvre et son agencement formel, a eu recours à l’analyse et à l’argumentation plutôt qu’au récit, mais elle est loin d’avoir rompu avec le mode narratif : Vasari a fait des émules et, pendant plusieurs siècles, le succès des Vies de peintres ne s’est pas démenti, celui des historiettes exemplaires non plus.
Le propos de ce volume est de se pencher sur ces bribes de récit, véhiculées à travers les siècles et les frontières, pour s’interroger sur leur forme, leur statut, leur diffusion dans toutes sortes d’imprimés, bien au-delà de la Kunstliteratur. Qu’elles portent sur un moment de la vie d’un artiste, sur une rivalité entre deux maîtres, sur la réaction d’un commanditaire, sur l’élaboration d’un chef d’œuvre ou sur une phase de sa réception, et qu’elles soient isolées ou insérées dans une compilation, ces anecdotes disent quelque chose de ce qu’est ou doit être l’art. Même si le propos affiché est de distraire, d’étonner ou d’amuser, elles sont rarement dénuées de portée théorique, fût-elle implicite voire inconsciente.
Plusieurs approches ont été adoptées, conduisant tantôt à suivre la migration d’une anecdote pour mettre à jour les variations dans l’interprétation et dans la finalité qu’on lui prête ; tantôt à examiner sa place et son usage spécifiques chez tel théoricien précis ; tantôt à définir le statut de l’anecdote dans ses rapports avec l’exemple rhétorique comme dans ses enjeux, apologétiques ou institutionnels ; tantôt encore, à interroger la notion d’anecdote visuelle. Dans tous les cas, on s’est efforcé de mettre à jour la théorie qui se construit implicitement, en se demandant ce que ces anecdotes permettent de penser que les traités de plein droit ne sauraient élaborer. Bref, il s’agit de préciser le rapport que cette théorie subreptice entretient avec les failles, contradictions, apories et impensés de la théorie légitime.