Gilbert Sorrentino, une exubérante noirceur
Abstract
Romancier, poète et critique, Gilbert Sorrentino, né et mort à Brooklyn (1929-2006), fut l'une des figures majeures sur la scène littéraire new-yorkaise dès les années soixante. Proche des milieux éditoriaux et artistiques, il a enseigné à l'Université Columbia, puis à Stanford, avant de revenir à Brooklyn dans les dernières années de sa vie. Son œuvre, couronnée par de nombreux prix et distinctions du monde des Lettres américaines, ne compte pas moins de trente titres (dont cinq sont actuellement disponibles en traduction française), parmi lesquels Mulligan Stew (Salmigondis), parodie de métafiction qui consacra sa réputation en 1979. Son écriture expérimentale emprunte autant à Sterne qu'à l'Oulipo, à W. C. Williams et à James Joyce. Ses romans, corsetés par des contraintes structurelles et langagières, se démarquent de la tradition mimétique, brassent et bousculent les genres littéraires, travaillent les qualités visuelles et acoustiques de la langue et mêlent tous les registres : précieux et argotique, poétique et scientifique, populaire et savant. Irrévérencieuse et caustique, l'œuvre de Sorrentino tourne en ridicule les jargons et les clichés, toutes les grilles idéologiques et leurs formules, dans des acrobaties verbales qui n'occultent jamais la vision tragique de l'existence. Dans son double objectif de présentation et d'évaluation de l'œuvre en prose de Sorrentino, cette étude se propose de donner quelques voies d'accès et de montrer que les innovations formelles auxquelles se livre ce virtuose du roman ne relèvent pas seulement d'une recherche amusée en littérature, mais d'une attention aiguë, et souvent douloureuse, au monde contemporain.