De l’environnement au partage de la Terre : le monde vital pour tous
Résumé
In the Post-modern ages, the human being is doubly put into question : naturalisation of humanity (strong naturalism) is challenged by the hypothesis that man transcends the natural order; a self-based liberty is challenged by the ethics of responsibility, according which man is requested to be responsible for the Nature he is able to destroy. How can we deal with such a undetermined human nature and on the other hand, with a specific responsibility of mankind over Nature? This paper examines several theories of the environment reconsidered as a place of humanization that is to be shared. This allows an intercultural ethics of the world as vital for all, beyond any ethnocentric normativity. How can we justify that the world is not available to appropriation? Nevertheless, how can we have a use of the world combining humanization, socialization and personal development? How can we ‘co-operate’ the world through our vital links so that we become more human the ones by the others?
L’Homme post-moderne est partagé par une double mise en question : son appartenance aux faits naturels (naturalisme éthique strict) est contestée par la théorie de la transcendance de l’humain sur l’ordre naturel, mais en retour le mythe moderne d’une sortie de la Nature vers une liberté autofondée est contesté par la théorie d’une responsabilité propre à l’Homme envers cette nature exposée à sa puissance technique de destruction (Jonas). Comment penser ensemble un vide de la nature humaine et une responsabilité spécifiquement humaine pour la Nature ? En reprenant les notions d’Umwelt (Uexküll), de milieu (Canguilhem), d’écoumène (A. Berque), cet article s’efforce de montrer comment une pensée de l’environnement comme ‘espace d’humanisation à partager’ permet de justifier une éthique interculturelle du monde vital, sans présumer d’une vision du monde ethnocentrique et normative. La loi éthique (en grec nomos) n’est-elle pas conçue dès l’origine comme l’acte de départager (nemein) un territoire pour y vivre dans la justice ?
Un enjeu est l’élaboration d’un concept éthique du monde en tension avec un concept phénoménologique (par exemple le monde comme ensemble des réalités disponibles à la connaissance et à l’action humaine), pour penser une relative ‘indisponibilité’ du monde, qui n’en soit pas la sacralisation : qu’est-ce qui justifie une non appropriation du monde ? Je propose pour cela de renouveler le concept même de coopération, en tant que la puissance de faire œuvre commune (opus) implique une suspension des logiques d’action, d’exercice de la puissance comme pouvoir (potestas). La coopération est également l’horizon d’un usage du monde qui ne soit ni la juxtaposition des droits d’usage particuliers, ni la fusion dans des collectivisations (y compris incarnées par des instances internationales) : en effet, comment penser un usage du monde où se conjuguent la personnalisation (devenir singulier), la socialisation et l’humanisation ?
Si le monde est vital, c’est parce que c’est dans des rapports au monde (occupation des sols, exploitation des ressources, implantation de l’habitat, capacité de déplacement, etc.) que se joue la véritable inter-humanisation : découvrir les liens vitaux qui nous humanisent en nous permettant de devenir des personnes dans l’usage partagé du monde et l’agir ensemble. Cet enracinement ontologique et politique de l’humain forme la base éthique, transculturelle, des luttes contemporaines pour une Terre humaine.