Étendards ou linceuls ? Les uniformes du nationalisme breton et leurs représentations, des années 1930 à nos jours
Abstract
L’histoire du nationalisme breton est, entre autres, une histoire d’apparences. Dès la fin de la Grande Guerre, les jeunes du Groupe régionaliste breton, déterminés à relever une Bretagne qu’ils jugeaient dégénérée, déclarèrent : « Il nous reste un costume […] qui constitue un véritable uniforme national, signe extérieur éclatant de notre nationalité. » Ce costume qu’ils appelaient aussi « l’UNIFORME de notre race », il fallait absolument le porter, pour contrer la mode urbaine et française qui gagnait la région. À vrai dire, aucun d’entre eux n’osa parader quotidiennement en costume breton, tout au plus portait-on un gilet brodé sous une veste, et l’on se contenta de regarder quelques militantes porter la coiffe lors des ventes à la criée du journal Breiz Atao. Si ce costume fut vite laissé aux groupes folkloriques, les militants nationalistes avaient cependant tôt compris ce que Roland Barthes formulerait plus tard : le vêtement était un « modèle social », une image plus ou moins standardisée de conduites collectives attendues, et à ce niveau, il avait une signification. Il n’est donc pas étonnant que le Parti national breton, créé quelques années plus tard, décide de se doter d’uniformes, lorsqu’à partir du milieu des années 1930 il se met à défendre l’utopie d’une Bretagne soumise à l’hégémonie politique, sociale et culturelle d’un homme nouveau, et commence à partager les mêmes caractéristiques que les autres structures fascistes d’une Europe nouvelle dans laquelle il faut faire bonne figure. Il s’agit d’abord de copier dans la forme les modèles dont on s’inspire déjà pour le fond. Olier Mordrel, un des ténors du groupe, épaté par les succès du national-socialisme qu’il a constatés sur place, écrit : « On a rendu au peuple la conscience de son unité et de ses possibilités, le sens de sa mission raciale. On a recréé, notamment par l’uniforme brun et la croix-gammée sur tous les bras, une fraternité humaine que l’esprit de lucre des juifs socialistes avait profondément détruite. » De son côté, Yves Delaporte, l’un des fondateurs du PNB, se rend au IVe Landdag du Verdinaso dont il revient très impressionné. « Nous avons particulièrement admiré la tenue parfaite des soldats de Van Severen », écrit-il dans un reportage illustré de quelques images soigneusement extraites de la douzaine de clichés qu’il a rapportés et collés dans un album. Mais il s’agit aussi, pour les nationalistes bretons comme pour les autres, de se faire une place dans un espace public devenu champ concurrentiel dans les années 1934-35. En Bretagne, le PNB est par exemple confronté à l’activisme des Chemises Vertes de Dorgères. Tout le monde se dirige « vers l’époque où l’opinion d’un citoyen se reconnaîtra à la couleur de sa chemise ». Dans ce contexte d’émulation et d’imitation, quelles peuvent être les particularités des uniformes du PNB ? Que signifiaient-ils hier ? Que signifient-ils aujourd’hui ? Nous verrons, au-delà de la simple panoplie de l’homme nouveau, ce que veut dire porter l’uniforme noir et blanc ; et que si ces uniformes sont nés dans le champ concurrentiel politique, leur image est aujourd’hui un enjeu dans le champ concurrentiel mémoriel. […]