Une mémoire de 1789 dans le mouvement breton. Yann Fouéré, un contre-révolutionnaire en Révolution nationale
Abstract
En 1921, Mordrel écrit dans Breiz Atao, alors organe du Groupe régionaliste breton, que la nuit du 4 août 1789 marque la disparition de la Bretagne et le début de la domination étrangère. Ce faisant, il s'avère porteur d'une mémoire de la Révolution française héritée, entre autres, des historiens bretonistes du XIXe siècle, et de l'Union régionaliste bretonne, dont le président, le marquis Régis de L'Estourbeillon, ne masque pas ses idées monarchistes. Le GRB et Breiz Atao eux-mêmes sont nés au sortir d'une réunion de l'Action française, à laquelle un jeune étudiant, Morvan Marchal, s'était rendu avec Joseph Boreau de Roincé, un hobereau du Haut-Léon. La frange la plus active du mouvement breton du début du XXe siècle vient de la réaction et, c'est fort logiquement que, malgré son virage à gauche dans les années 1930, Marchal a fini par être inhumé dans la tombe d'un prêtre réfractaire, à Chateaugiron. La boucle est ainsi bouclée, peut-être trop bien cependant pour que l'on se dispense d'y prêter davantage attention. La presse militante bretonne fait état d'une instrumentalisation de la Révolution française par les nationalistes bretons. À quelles fins s'y sont-ils livré ? Dans cette perspective, Yann Fouéré est un interlocuteur privilégié. Né en 1910, élevé en Bretagne, étudiant à Paris, Fouéré poursuit des études de droit à Sciences Po, où il valide un doctorat de Droit, qui lui ouvre une carrière de rédacteur au ministère de l'Intérieur. Attiré par la Bretagne, où il fréquente régionalistes et nationalistes, il fonde en 1934 une association vouée à la défense de l'enseignement de la langue bretonne, tout en se faisant remarquer à l'Union fédérale des Anciens combattants, ainsi que dans le revue Peuples et frontières, où il milite pour le fédéralisme européen. Épargné par la mobilisation, il devient patron de presse pendant la guerre. Ses prises de positions lui valent d'être arrêté à la Libération, et condamné en 1946 pour intelligence avec l'ennemi. C'est pendant l'occupation, alors qu'il prétend jouer un rôle important en Bretagne, que la Révolution française supplante le Moyen-Âge dans la production d'une histoire instrumentalisée par le mouvement breton. Le contexte de la Révolution nationale explique en grande partie la récurrence chez Fouéré d'un discours contre-révolutionnaire. Mais son intérêt pour la période s'est manifesté très tôt et s'est affiné au cours des années 1930, notamment au contact des relèves de L'Ordre nouveau. Comme elles, Fouéré a prétendu porter la révolution en Bretagne, tout en lui imaginant un cadre politique proche de l'Ancien Régime.