"Wie scheen dü bisch, mi Heimat". Associations sportives et constitution d'un sentiment régional en Alsace (1890-1918)
Abstract
Au tournant des années 1900, l'Alsace, annexée depuis près de trente années au Reich wilhelminien, connaît une évolution identitaire majeure. Une jeune génération d'Alsaciens, de plus en plus éloignée de la France mais peu encline en même temps à souscrire à toute forme de germanophilie, fait sienne d'un discours régionaliste mettant en avant les fondements linguistiques voire ethniques d'une " alsaciannité ". Cette conscience régionale, née dans les sphères des élites intellectuelles, devient rapidement le fait de franges des classes moyennes alsaciennes ayant eu un accès récent à l'instruction (employés, petits-fonctionnaires, instituteurs...). Celles-ci, qui se constituent en " minorité agissante " (Hroch, 1985), trouve ainsi le moyen d'acquérir une visibilité dans l'espace social menant campagne pour la diffusion de l'idée d'une nation alsacienne ayant des spécificités linguistiques et culturelles. Le développement de ses revendications trouve, au-delà de l'action des groupements culturels se constituant dans les grands centres urbains (Musée Alsacien, Théâtre Alsacien, Revue Alsacienne Illustrée...), un terrain particulièrement favorable au sein des associations sportives, notamment celles promouvant les activités physique de montagne. Ces dernières offrent en effet des espaces de liberté et de créativité où la petite-bourgeoisie alsacienne peut construire des expériences collectives originales marquées du sceau de l'entre-soi alsacien. En fait, ces expériences jouent habilement de plusieurs registres, combinant à la fois pratiques publiques, infrapolitiques et cachées (pour reprendre la catégorisation élaborée par l'anthropologue James Scott). Publiques parce que les pratiquants alsaciens présentent, dans les manifestations sportives officielles, leurs revendications territoriales comme inféodées au pouvoir allemand. Mais, derrière ce consentement de façade, se développent en fait des logiques infrapolitiques allant clairement dans le sens de l'exacerbation d'un autonomisme régional: volonté de ré-alsacianniser l'espace montagnard en le parcourant, en y implantant des refuges, en y favorisant l'essor de pratiques de sociabilité puisant dans le répertoire traditionnel alsacien (fêtes montagnardes, représentations théâtrales, kilbes...). Ces pratiques se conjuguent avec un ensemble d'activités cachées, c'est-à-dire des formes subversives de contestation ayant cours à l'abri des refuges de montagne (production et diffusion de chants, de poèmes, de caricatures en dialecte singeant le pouvoir allemand et exaltant la petite patrie [Haimet]).