Jeunes intérimaires et ouvriers permanents en France : quelle solidarité au travail ?
Abstract
Young Temporary Workers and Permanent Workers in France: What Solidarity at Work? If unemployment and job insecurity produce social inequalities, these divisions do not stop outside companies' borders and contribute to changes in work groups and productivity practices. If solidarity in the workplace stems from a common condition and shared subordination, the existence within the same workplace of different contracts and different career tracks for identical positions leads to ques-tions concerning possible forms of worker solidarity. Under threat of losing their jobs, employees are led to play the "competition among equals" game, thus con-tributing to the weakening of homogeneity within the same category. By examin-ing temporary employment, the archetypal example of job insecurity, we will explore the endogenous principles behind the process of undermining inter-category solidarity which afford new challenges to labour movements. The devel-opment of the use of temporary workers is based on a tacit policy of creating competition among workers of different statuses. Permanent and temp workers are caught up in a spiral of mutual distrust which limits their ability to take collec-tive action. The permanent employees' fear of losing their jobs is met with the bitterness of lower-status temporary workers. Because in the factory the tempo-rary workers hope to be "only passing though," avoidance and distancing between the two sets of workers constitute an obstacle to any recognition of their shared subordinate condition. As most temporary workers see their jobs as a first step towards a more permanent situation, coming out ahead is far more important to them than is improving working conditions... No doubt jobs must be at stake before a feeling of being a part of the community's future can be instilled. The segmentation of work groups via the status of different workers brings about major, rapid transformations in social relations at work by profoundly affecting the intergenerational dynamics of autonomous regulatory systems and the workings of employee resistance.
Si le chômage et la précarisation de l'emploi produisent des inégalités sociales, ces clivages ne s'arrêtent pas aux frontières des entreprises et contribuent aussi à la reconfiguration des collectifs de travail et des logiques productives. Si dans les espaces de travail, des solidarités naissent d'une commune condition et d'une subordination partagée, la coexistence dans un même espace de travail sur des postes identiques de statuts d'emploi distincts, dans des modalités d'accès elles-mêmes différenciées, pose la question des conditions d'émergence de solidarités possibles au travail. Sous la menace du chômage, les salariés sont conduits à jouer le jeu d'une " concurrence entre égaux ", contribuant à fragiliser les homogénéités intra-catégorielles. On montrera ici, à partir de l'exemple de l'emploi intérimaire, saisi comme forme archétypique de l'emploi précaire, les logiques endogènes de ce processus de fragilisation des solidarités intra-catégorielles qui posent de nouveaux défis au syndicalisme. Le développement de l'intérim repose sur une logique tacite de mise en concurrence de travailleurs à statuts différents. Permanents et intérimaires sont pris dans une spirale de défiance réciproque qui freine leurs capacités d'action collective. À la crainte des permanents pour leur emploi répond l'amertume des intérimaires déclassés. Le souhait de ces derniers de n'être que de passage dans l'usine renforce les postures d'évitement et de mise à distance et constitue un obstacle à la reconnaissance d'une condition de subordination partagée. Investi comme " boulot de jeune " le souci d'en sortir prime sur celui d'en améliorer les conditions... Sans doute faut-il que le travail fasse enjeu pour que puisse naître le sentiment d'appartenance à une communauté de destin. La segmentation des collectifs de travail par le statut d'emploi engendre des transformations importantes et rapides des rapports sociaux de travail en affectant en profondeur la dynamique intergénérationnelle des systèmes de régulation autonome et les ressorts des résistances salariales.