La mémoire de Troie en Occident, d'Orose à Benoît de Sainte-Maure.
Résumé
Dans l'empire romain, la mémoire de Troie se prêtait à de multiples interprétations. La chute d'une capitale y marquait la disparition d'un royaume et de sa dynastie, mais aussi la fin d'un monde et le début d'une nouvelle domination. Tel que l'avait présenté Virgile, l'héritage de Troie justifiait la domination de Rome sur les peuples voisins, puis sur l'ensemble du monde connu, mais laissait aussi ouverte la possibilité d'une chute de cette nouvelle Troie. Dans l'Antiquité tardive, le souvenir de Troie et de sa chute devint omniprésent à mesure que s'amplifiait la menace barbare sur l'empire d'Occident. Ce rappel constant du destin de Troie s'accompagnait pourtant d'une méconnaissance, en partie volontaire, de la tradition classique, et de la préférence pour les œuvres de Darès et de Dictys, qui prenaient systématiquement le contre-pied des présentations d'Homère et de Virgile. Du décalage avec la tradition classique put naître l'appropriation de la mémoire de Troie par les nouveaux maîtres de l'Occident, ainsi que le prouvent les récits des origines troyennes des Francs et des Bretons, composés du VIIème au IXème siècle. Ils suivent les mêmes principes : le lien entre la chute de Troie et les royaumes francs et bretons est fait par un héros éponyme qui guida les exilés troyens jusqu'en Europe ; les origines troyennes justifient leur rivalité avec Rome et leur victoire finale contre son empire, qui ne fit qu'usurper momentanément le destin glorieux qui leur était promis ; Troie apparaît comme le fondement de la légitimité du pouvoir des Francs et des Bretons en les distinguant des autres peuples barbares et en expliquant leur supériorité sur eux. Ainsi, les origines troyennes des peuples barbares apparaissent comme le symbole de leur acculturation latine, et donc de la survie d'une civilisation malgré la chute d'une capitale. Mais la mémoire de Troie était suffisamment prégnante pour rappeler aussi l'importance d'un centre urbain pour le pouvoir politique. Alors même que leurs royaumes n'avaient pas de capitale, les Francs étaient ainsi présentés comme les fondateurs d'une nouvelle Troie. La mémoire de Troie au haut Moyen Age nous montre donc l'aspect vivant du mythe, que Francs et Bretons retournèrent à la fois contre Rome et contre leurs rivaux. Son adaptation possible à des réalités complètement nouvelles nous est prouvée de nouveau par les œuvres de Geoffroy de Monmouth comme de Benoît de Sainte-Maure, qui présentèrent de nouvelles Troies, capitales de nouveaux pouvoirs comme de la culture chevaleresque.