L’emballement des enquêtes nationales sur la pratique sportive. Quand l’amélioration des outils vient concurrencer les capacités d’analyse
Résumé
Parmi les faits marquants des 20e et 21e siècles, la mesure et la quantification des phénomènes sociaux sont remarquables, ce qui a par exemple permis à Martin de publier L’empire des chiffres : sociologie de la quantification en 2020. Il y exprime le fait que nos sociétés contemporaines sont remplies de toutes sortes de chiffres. Le sport n’y échappe pas, et l’on constate depuis quelques décennies la nécessité de disposer de données sur la pratique sportive, notamment pour la mise en place et l’évaluation des politiques publiques. Longtemps coûteuses et compliquées, les enquêtes quantitatives sont dans un premier temps restées l’apanage de structures lourdes (ministères, instituts de sondage, laboratoires de recherche, …). Au-delà des problèmes soulevés à chaque enquête (Michot, 2021), les caractéristiques d’une enquête quantitative lourde représentative de la population empêchaient leur reproduction trop fréquente. Mais aujourd’hui, avec la disponibilité de logiciels d’enquête en ligne, de logiciels statistiques et la puissance d’internet, on peut avoir l’impression qu’une enquête quantitative est devenue très simple à mener et qu’il devient facile de la mettre en œuvre de façon régulière et sur des périodes rapprochées. Ce serait une erreur, car outre les questions méthodologiques inhérentes à toute enquête, le temps d’analyse par les chercheurs reste une variable relativement incompressible, même si ce n’est pas toujours compris des financeurs de l’enquête.
D’où les deux questions posées par la présente proposition de communication : dans quelle mesure les avancées technologiques entrent-elles en collision avec le nécessaire temps de réflexion sur les données obtenues ? Et surtout, le temps d’analyse des données recueillies est-il aujourd’hui compatible avec les attentes des financeurs et des commanditaires, et à quelles conditions ? Pour l’évoquer, nous ferons un tour des enquêtes nationales sur la pratique sportive menées en France depuis les années quatre-vingts (ce ne sont pas les travaux qui manquent, si l’on reprend Gatel et Cormier-Bouligeon, 2019) pour nous focaliser ensuite sur celles menées ces dernières années. Nous montrerons que d’une part, la production d’enquête est d’autant plus source d’écueils et d’erreurs que leur facilité de mise en œuvre est forte. Nous montrerons d’autre part que l’exploitation des enquêtes impose un minimum de temps de réflexion et d’analyse. Nous proposerons enfin quelques pistes pour la fiabilisation de telles enquêtes.